Un printemps sous le signe de la couleur au Jardin des Plantes
En 2024, la botanique se met au service de la théorie des contrastes simultanés du chimiste Michel-Eugène Chevreul qui a œuvré au Muséum au XIXe siècle. Résultat, une palette saisissante de bleu et d'orange.
Voilà le printemps, le moment idéal pour flâner au Jardin des Plantes ! Cette année, les carrés de la perspective, qui vous mènent de l’entrée principale du jardin, côté Seine, à la Grande Galerie de l’Évolution sont particulièrement lumineux : « Pour le printemps 2024, nous avons misé sur le contraste bleu et orange, révèle Isabelle Glais, directrice des jardins botaniques. Ce choix nous a été inspiré par la lecture des ouvrages de Michel-Eugène Chevreul ».
Michel-Eugène Chevreul, chimiste de la couleur
En 2023, les bibliothécaires du Muséum ont invité les jardiniers à consulter les ouvrages de celui qui fut professeur de chimie au Muséum et qu'il a aussi dirigé de manière discontinue de 1836 à 1879. Véritable chimiste de la couleur, Chevreul a développé une théorie qui influença non seulement les paysagistes, mais aussi les artisans (verriers, tapissiers, teinturiers…) et les artistes-peintres. Elle fut notamment exploitée par les impressionnistes et les cubistes orphiques.
Cette théorie, exposée dès 1828, dans son mémoire « De la loi du contraste simultané des couleurs et de l’assortiment des objets colorés », mêle optique, chimie et expériences pratiques. Chevreul démontre que la perception que nous avons des couleurs dépend des teintes avoisinantes. Un ton semblera par exemple plus clair s’il est placé sur un fond sombre. À l’inverse, la présence de blanc fait briller les couleurs autour de lui. Enfin, la juxtaposition de certaines teintes leur donne une vivacité agréable à l’œil.
Le chimiste les appelle complémentaires parce qu’elles ne comportent aucune couleur primaire commune : c’est le cas du rouge (couleur primaire) et du vert (composé de bleu et de jaune), mais aussi du bleu (couleur primaire) et de l’orange (rouge et jaune). Il nomme ce phénomène de perception le contraste simultané.
Naviguez à travers quatre siècles d'histoire(s) de la chimie au Muséum racontés dans un long récit animé.
Les pigments de synthèse de Chevreul
Le ton de deux plages de couleur paraît plus différent lorsqu’on les observe juxtaposées que lorsqu’on les observe séparément, sur un fond neutre commun.
Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), professeur de chimie au Muséum d’Histoire naturelle de Paris.
Après avoir expérimenté cette loi par eux-mêmes, en peignant à la gouache, les jardiniers du Jardin des Plantes ont décidé d’exploiter ce contraste simultané dans les massifs floraux de la perspective pour le printemps 2024. Leur tapis de plantes saisonnières, plantées en octobre dernier (pensées, girofles, campanules, myosotis, œillets…), comprend aussi des bulbes (crocus, tulipes, narcisses, jacinthes, fritillaires…). Au total, leur composition assemble 20 000 plantes saisonnières de 114 variétés différentes et 12 000 bulbes de 49 variétés.
« Cette année, chaque massif a pour invité d’honneur le pavot d’Islande », précise Isabelle Glais. Cette plante herbacée, qui ressemble à un délicat coquelicot orangé, possède un statut particulier au Jardin : il ne provient jamais du commerce. Chaque année, les graines des fleurs sont récoltées puis ressemées et cultivées à l’Arboretum de Versailles-Chèvreloup, avant d’être installées à Paris.
Dans chaque carré du Jardin des Plantes, la proportion de bleu et d’orange varie sensiblement. Et celle-ci évoluera au fil des semaines au printemps. L’occasion de revenir plusieurs fois arpenter ses allées, pour assister au développement de ce feu d’artifice silencieux !
Pour 2025, les jardiniers poursuivent leur exploration des travaux de Michel-Eugène Chevreuil : main dans la main avec les chimistes du Muséum, ils préparent une nouvelle palette… jaune-orangée.
Article rédigé en mars 2024. Remerciements à Isabelle Glais, directrice des jardins botaniques du Muséum national d’Histoire naturelle, pour sa relecture et sa contribution.